Hier matin, en ce 8 mars 2021, Journée internationale pour les droits des femmes, une quinzaine de militantes issues de groupes de défense des droits des personnes assistées sociales des régions de Québec et Chaudière-Appalaches se sont réunies virtuellement afin d’échanger sur leurs réalités et de dresser un portrait des changements sociaux requis pour améliorer leurs conditions de vie. Voici ce qu’elles ont à dire…

Éliminer les préjugés, une priorité !

D’abord, il faut savoir que les femmes assistées sociales reçoivent des prestations qui varient entre 708$ et 1298$ par mois, selon la reconnaissance accordée à leurs contraintes à l’emploi par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. En plus de devoir survivre avec des montants qui ne leur permettent pas de couvrir leurs besoins de base, elles sont confrontées à de nombreux préjugés.

Une participante raconte : « Je me fais dire : tu veux te faire entretenir, tu ne veux pas travailler ». Pourtant, il n’y a rien de volontaire à se retrouver à l’aide sociale. Les mères monoparentales sont aussi fortement visées. On présume, à cause de leur statut économique, qu’elles ne seront pas en mesure d’élever leurs enfants. Ces préjugés envers les personnes assistées sociales s’ajoutent aux préjugés sexistes que vivent les femmes de manière générale. Ces discours ambiants sont d’une grande violence et teintent aussi la perception que ces femmes ont d’elles-mêmes ou d’autres personnes assistées sociales. «Même entre nous, il y a des préjugés, souvent liés aux catégories créées par l’aide sociale!»

Les militantes s’entendent pour dire qu’il est primordial d’agir pour éliminer ces idées préconçues envers les femmes assistées sociales. Ce changement de perception doit d’abord se faire au niveau des décideurs, dont les différentes réformes de la loi d’aide sociale alimentent les préjugés. Nous l’avons vu dernièrement, des hausses de prestations plus significatives ont été consenties uniquement aux personnes ayant une contrainte sévère reconnue depuis 66 mois sur 72. Cela renforce l’idée qu’il y a des « bons pauvres », réellement malades et dans l’impossibilité d’occuper un emploi, alors que les autres ne méritent pas de couvrir leurs besoins de base. Cette vision doit être renversée pour accorder plutôt de l’importance à la dignité des personnes, et permettre à chacune de couvrir ses besoins.

Pour sortir de cette logique, il serait important de reconnaître et valoriser la contribution des femmes assistées sociales dans la communauté. « Nous sommes des proches aidantes qui prennent soin de parents âgés ou d’enfants à besoins spéciaux, nous sommes des mères qui élèvent leurs enfants, nous sommes des femmes impliquées dans notre milieu. On a le droit de vivre dans la dignité. »

Hausser les prestations, une urgence !

Tel que mentionné précédemment, les montants accordés aux personnes assistées sociales sont dérisoires. La hausse du coût de la vie frappe de plein fouet ces femmes, qui sont bien souvent les premières responsables des dépenses liées aux biens de première nécessité : nourriture, loyer, produits d’entretien, vêtements, etc. Cette situation s’est aggravée depuis le début de la pandémie. « Comment les gens peuvent-ils manger trois repas par jour avec 708$ par mois ? On nous dit d’aller dans les banques alimentaires, mais ça déborde », explique une participante. Une autre renchérit : « je mange des aliments moins bons pour la santé, parce que c’est ça qui est accessible. Ça a un impact sur ma santé ». Outre l’alimentation, on constate aussi des dépenses supplémentaires liées à la pandémie : achat de masques, connexion internet pour poursuivre leurs activités en ligne, hausse des frais bancaires puisqu’il n’est plus possible de payer en argent comptant, etc. En plus de tout cela, il est mentionné que les femmes font face à de nombreuses dépenses additionnelles, dont les produits hygiéniques féminins, mais aussi afin de répondre aux standards de beauté promus par la société.

En réponse à cela, les participantes mentionnent qu’il faudrait revoir l’ensemble des prestations à la hausse, pour que chaque personne puisse couvrir ses besoins essentiels. Cela pourrait passer par une abolition des catégories à l’aide sociale, qui divisent les personnes selon leur présumée « aptitude à l’emploi », et d’accorder le montant le plus élevé à tous les prestataires. Pour les personnes ayant des besoins particuliers, par exemple liés à un handicap, les militantes proposent un montant supplémentaire pour couvrir les dépenses qui y sont associées. Dans l’immédiat, on souligne qu’aucun soutien financier n’a été accordé aux personnes assistées sociales pendant la crise sanitaire. Advenant une troisième vague de Covid-19, il serait plus que nécessaire de ne pas les oublier encore une fois. À plus long terme, le groupe entrevoit l’instauration d’un revenu social universel garanti comme une solution qui permettrait de sortir de la précarité et d’assurer un revenu viable à toutes les personnes, peu importe leur situation.

Réduire les contrôles administratifs et cesser les coupures de prestations

En plus de l’insuffisance des prestations et des préjugés, les femmes assistées sociales sont confrontées à de nombreux contrôles administratifs de la part du système d’aide sociale. Une participante explique : « on fouille dans nos comptes bancaires, dans notre vie privée. Ça me fait sentir comme une criminelle, même si je n’ai rien fait de mal ! Je me sens dans une prison sociale. » Ce sentiment est partagé par de nombreuses femmes, qui vivent avec la crainte constante d’être prises en défaut par une règle administrative, et coupée dans leur maigre prestation. « Est-ce que je dépasse mes avoirs liquides permis ce mois-ci ? Est-ce que j’ai eu des gains de travail supérieurs à 200$ au cours du mois ? » L’aide sociale peut aussi, encore aujourd’hui, saisir une partie des pensions alimentaires destinées aux enfants.

Toutes s’entendent pour dire que ces mesures doivent être abolies. Les participantes expliquent qu’elles doivent avoir le droit d’accumuler un peu d’argent de côté pour faire face aux imprévus, comme tout le monde. Si on veut favoriser leur retour sur le marché de l’emploi, les gains de travail permis doivent aussi être augmentés. Et l’ensemble des pensions alimentaires doit pouvoir être utilisé pour répondre aux besoins des enfants.

Améliorer la situation économique des femmes, pour réduire leur vulnérabilité aux violences

L’autonomie économique des femmes est un pilier important dans leur émancipation et la sortie de situations de violence.  Or, les participantes font le constat qu’actuellement, l’aide sociale maintient de nombreuses prestataires dans des situations de grande vulnérabilité aux violences, notamment conjugales. Par exemple, les femmes assistées sociales qui sont en couple avec un homme qui travaille deviennent dépendantes économiquement de celui-ci, perdant leurs prestations. C’est ce qu’on appelle la coupure pour vie maritale. De nombreuses femmes sont donc privées de vivre avec leur conjoint, ou alors, si elles vivent avec celui-ci, la dépendance économique s’installe et ouvre la porte au contrôle et à la violence. « Comment veux-tu quitter ton conjoint si tu as peur de te retrouver dans la rue, sans revenu ? », explique une militante.  Il faut abolir cette coupure pour assurer le droit à l’amour, mais aussi la sécurité des femmes assistées sociales. Un autre enjeu est pointé du doigt : lorsque les femmes assistées sociales ayant été victime d’acte criminel reçoivent des prestations de l’IVAC, celle-ci peuvent être retranchées du chèque d’aide sociale, une aberration à corriger rapidement.

Être à l’écoute des besoins et des solutions proposées par les femmes assistées sociales

Pour conclure, nous constatons que les femmes assistées sociales vivent actuellement de nombreuses injustices et une violence économique inacceptable, dans un pays riche comme le nôtre. Cette situation n’est pourtant pas une fatalité, c’est le résultat de choix de société qui maintiennent les femmes dans la pauvreté et la précarité. Avant de prendre des décisions qui les concernent, les gouvernements doivent consulter les principales concernées. Ces femmes savent ce dont elles ont besoin pour améliorer leurs conditions de vie et pouvoir participer pleinement à la société, sans être constamment en état de survie. Maintenant, écoutons-les, et agissons !

Les militantes du comité Femmes de l’ADDS-RS,
du comité Femmes de l’ADDS-QM et de ROSE du Nord.